Le climato-scepticisme fait bondir les uns et doucement rigoler les autres. On n’est pas d’accord, disent les uns: tout va bien. On est d’accord, disent les autres: tout va mal. Moi, j’embrasse un arbre tous les matins en faisant une salutation au soleil et répète un mantra que m’a donné mon Youtuber préféré et tout va bien. Moi je fais la même chose et tout va mal.
“Toutes choses égales par ailleurs” est une affirmation agaçante que l’on utilise ici et là, soit pour imposer sa sapience aux autres, soit pour tenter de justifier sa conception utilitaire et limitée de l’existence (qui change en permanence).
Je hais cette locution.
Pourtant, du point de vue de la perception, de l’épaisseur d’aimer et d’exister, elle est vraie. Tant que l’on méconnaîtra les contrées harmonieuses et secrètes que visitent le Poète, le Mystique et l’Artiste ou tant que nous les consommerons comme des objets gratifiants, toutes choses, désastreusement écologiques ou pas, seront égales par ailleurs. Heidegger parle: “La révolution technique qui monte vers nous pourrait fasciner l'homme, l'éblouir et lui tourner la tête, l'envoûter, de telle sorte qu'un jour la pensée calculante fût
la seule
à être admise et à s'exercer. Alors, la plus étonnante et féconde virtuosité du calcul qui invente et planifie s'accompagnerait d'indifférence envers la pensée méditante. Et alors? Alors l'homme aurait nié et rejeté ce qu'il possède de plus propre, à savoir qu'il est un être pensant. Il s'agit donc de sauver cette essence de l'homme. Il s'agit de maintenir en éveil la pensée.”
Étant Poète et travaillant à transcender l’émotion, j’aime la pensée tout en me méfiant naturellement d’elle. La pensée est elle aussi ambivalente: elle produit laideur et beauté, erreur et vérité, et peut même les emberlificoter et changer notre intériorité en eaux claires ou en mer agitée.
Parce qu’avec le langage, ils voyagent dans le temps, les Poètes disent toujours la même chose: tout est dans le coeur. Nos têtes peuvent calculer la Terre à loisir, mais le coeur, lui, s’élancera toujours vers elle en contemplation. Nos têtes peuvent interpréter, interroger la véracité des mythologies, écrire des articles inquisiteurs ou indignés, chercher la rationalité et mimer la métrique des poèmes. On peut habiter indéfiniment les mêmes mondes, les connaître en long, en large et en travers pour avoir quadrillé le secteur, sans jamais oser s’aventurer dans l’extase créatrice, harmonieuse et mystique. On peut toujours, pour citer un grand poète souhaitant rester anonyme, “naître en poète et mourir architecte”. Toutes choses étant égales par ailleurs.
Tout amoureux des arts que nous sommes, pourquoi ne pas percevoir la Terre comme un chef d’oeuvre, parce qu’après tout, c’est ce qu’elle est. Pourquoi ne pas la préserver comme un Urizen ou la restaurer comme une Joconde céleste? Se tenir en paix, admiratifs devant sa richesse à elle, sa résilience milliardaire. Et à force d’amour et de soin respectueux, veiller. Attendre le moment où elle nous contera
elle-même son histoire
Et que se passerait-il encore si dorénavant, nous refusions toute interprétation stylistique et technique d’oeuvres d’art, de poèmes et même, de philosophies? Ne plus chercher à interpréter, compiler, analyser des données sur l’expérience intérieure d’un autre, effrayante parce qu’elle témoigne d’une dimension de l’existence que nous ne connaissons pas, rassurante dès qu’on la traduit dans l’étiquetage inertiel de l’intellect.
Et si au lieu de commenter l’art, la poésie, la philosophie, le mythe et d’en être des récipiendaires passifs, nous décidions d’en faire une pratique. Que se passerait-il si nous devenions intensément actifs dans l’exploration de l’inconnu créatif?
Inversez la tendance.
Débutez par la pratique et ainsi, exprimez enfin une théorie incarnée, vive, authentique, non-duplicable, non-industrialisable. Et tout de même, mystérieusement transmissible.
Il n'y a pas d'inertie sans dynamisme. La route peut être longue et sinueuse, mais vous verrez bientôt que votre action motivée mène à la contemplation de la beauté, au calme.
Si vous ne savez pas comment faire pour libérer la subtilité des éléments qui vous entourent (ou vous constituent), demandez aux Poètes. Ils sont
et
Artistes
et Mystiques. Ils vous apprendront à explorer, puis canaliser votre intériorité.
Il y a forcément un Poète dans votre ville, dans votre communauté.
Cherchez-bien.