MYTHOS | Le pouvoir du conteur, Lemurian Scrolls & la fin d'un temps

Murielle Mobengo • 1 septembre 2020

MYTHOLOGIE & TRANSCENDANCE

Un conte temporel, intemporel et au-delà: une épopée extraordinaire

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Le mur à l’intérieur duquel nous tenions de longues veillées était percé, et à chaque fois que nous étions inspirés, par ces brèches, nous communiquions vérités philosophiques, prophéties et conseils pratiques. Et si personne n'était là pour entendre, nous parlions au vent.


Satguru Sivaya Subramuniyaswami, Les Manuscrits Lémuriens

(The Lemurian Scrolls), 1974

Un voyage extraordinaire?

Bien plus qu'une nouvelle mythologie, les Lemurian Scrolls nous offrent une cosmogonie intrigante et  originale , un grand récit nous mettant en tendresse avec nous-mêmes, l'époque étrange que nous traversons, les éléments, la Terre et tout le vivant. Prenez une couverture toute douce, une boisson chaude. Installez-vous dans un endroit silencieux et confortable et...

Écoutez Lemurian Scrolls, Le Podcast!

Lorsque j’étais enfant, ma vie était rythmée par le voyage, mais pas n’importe lequel.

Mes parents ne voyageaient pas pour découvrir le monde extérieur, rechercher les stimulations enivrantes de l’inconnu ou se distraire d’une vie encombrée de choses et de rendez-vous d’affaires. Tous les ans, mon père, athéiste convaincu et scientifique, ressentait le besoin de quitter l’Occident pour participer à une danse rituelle animiste à plus de cinq mille kilomètres de là. Une ambiguïté merveilleuse, ne pouvant soutenir le poids de la rationalité, qu’il ne cherchait d’ailleurs pas à expliquer.


Mob était réglé comme du papier à musique, ne s’en excusait pas et raillait les bondieuseries catholiques de ma mère, ses neuvaines et ses chapelets parce que le Dieu qu’elle priait n’existait pas. En revanche, les plaines boueuses, la terre rouge craquelée, les ouistitis aux poils d’argent et les caïmans de Boléké, son village natal enclavé dans la vasière congolaise, sur les rives surabondantes en poisson-chats de la rivière Oubangui, avaient une âme, eux.


Génie intemporel du Conteur, sapience humaine et rouages du cœur 


Parce que notre perception courante du monde et du temps est duelle, alors que notre intériorité ne l'est pas, il faut bien que nous sécrétions de l'ambiguïté. L’homme occidental, son matérialisme forcené et sa désespérance spirituelle font couler beaucoup d’encre maintenant, et c’est tant mieux. J’y vois le signe d’une perception qui se raffine, celle d’une intelligence agissante jusque là occupée à faire le monde et contemplant soudain les majestés et les décombres de ses actions, s’observant elle-même, comme un être autre.

 

Qu’avons-nous fait de l’animiste, de ses rituels d'amour en chacun de nous? Où se cache-t-il? Est-il heureux dans son cubicle, son gymnase-temple où il se sculpte le corps indéfiniment pour tromper la mort qui vient toujours, pour chacun d’entre nous?

 

Il faut être fou pour méconnaître l’ampleur des transformations que nous sommes maintenant forcées d’entreprendre. Nous avons transformé le monde à l’envi, atteint une extrémité de notre expérience consciente par la maîtrise de notre environnement physique. Nous avons policé la terre, ce grand caillou suspendu dans l’espace. À coup de recherches scientifiques merveilleuses, de prouesses technologiques surprenantes et de théories fumantes sur le grand tout, nous avons confirmé notre statut de sapiens sapiens, celui qui sait les choses deux fois. Mais vu notre actualité confinée de ces derniers mois, il semblerait que deux fois ne suffisent pas.

 

Sapiens sapiens n’est pas seulement celui qui sait, il est aussi celui qui se raconte et le génie des grands conteurs tient en ce simple fait: ils connaissent par le coeur et perçoivent par un oeil secret les mondes qui nous habitent et que nous faisons mine d'ignorer du haut de notre sapience. À eux seuls, les grands conteurs créent des cosmogonies poétiques, les délivrent de notre captivité inconsciente, comme investis de ce pouvoir par la source de toutes les histoires elle-même. Pour tenter de donner un nom à cette maîtrise gracieuse et particulière du verbe, à ce talent de passeur de vie(s) extraordinaire(s), on dit d'eux qu'ils sont mystiques. Comme vous le verrez, ce numéro 2 de {R} leur fait la part-belle.


La mythologie est une méta-histoire ou encore, l’histoire-prime. En son sein sourdent tous les récits du Soi racontant les tumultes de sa danse avec l’existence, de folles extravagances qui inspirent innovations technologiques, littérature, art et religion. Mais tous ceux qui aiment le symbole et oeuvrent avec lui savent que les mythes sont fous ou extravagants en apparence seulement. Ils usent de formes inhabituelles pour rappeler, raviver la complexité de nos vies intérieures, endormie par l'expérience de la dualité. Car comment parler des douceurs et des violences du temps qui nous passe, de notre conscience qui s'épanche, se contracte expérimente toujours et encore, sans métaphore?

Murielle Mobengo, Poète

Murielle Mobengo est Poète, conteuse et rédac chef de Revue {R}. En écriture, elle explore les thématiques de la créativité comme lieu du sacré, l'unité de la poésie, de l'art et de la philosophie, ainsi que l'intrusion (problématique?) du mythologique dans le réel.

Les dommages inévitables liés à l’expérience de l’âme, à son roulis à l'envers, à l'endroit, son barattage à travers les naissances et les morts des entrées et des sorties dans et hors des corps de chair, furent réparés.



Les Lemurians Scrolls: Il était une (autre) fois...


Ces parchemins de Lémurie sont une nouvelle mythologie, toute en puissance. Je pourrais tout à fait conclure cette rubrique avec cette simple phrase et vous faire la lecture de ce grand livre, qui vous fera passer par tous les stades de l’émerveillement, du recueillement; qui vous fera rire, ressentir, éprouver et peut-être même par endroit, pleurer.

 

En fait, parce que les Scrolls appartiennent à cette catégorie supérieure de récits investis du pouvoir de détacher notre "pensée calculante", grégaire pour la mettre en contact avec une intelligence candide, intuitive et harmonisant tout en soi (même notre sapience double), c’est exactement ce que je vais faire dans ce numéro 2 de {R}.


Un conteur n’explique jamais l’histoire. Il ne fait pas d’exégèse, de commentaire littéraire ou de glose savante et rangée. Le conteur laisse l'intrigue chuchoter sa petite musique, ravir ceux qui l’écoutent avec les yeureilles, c’est-à-dire avec leur palpitant métaphorique, là où réside le souvenir partagé de la Beauté, "un pied près de mon cœur", comme disait le Poète.

 

Le cœur métaphorique. Voilà la solution. Voilà le problème. Le méconnaître, c’est traiter cette planète de feu comme un simple caillou suspendu dans l’espace et se traiter soi-même comme une contingence de son Dasein, son "être-là", comme dit Heidegger, dont on méconnaît les talents de conteur et d'observateur du soi, préférant bavasser à propos de ses frasques intellectuelles, de sa part d'ombre et de ses essais politiques douteux. La bave fait vendre. C'est aussi un instinct animal. L'être humain de cette époque est le seul animal salivant à propos de choses qui ne sont plus là. 

 

Dans ce deuxième opus de {R}, nous n’allons parler ni du rapport du GIEC, suffisamment éloquent en soi, ni de l’extinction de mammifères qui existent encore pour un peu de temps et peupleront nos imaginaires pour longtemps. Nous n’allons ni critiquer le capitalisme libéral, ni invectiver la financiarisation du monde. Nous allons simplement conter, une excuse pour retrouver la douceur des Temps du Conte, leur verbe fluide voyageant sans lourdeur argumentée et empli des joies qu'ils procurent aux Conteur et Contés.

 

The Lemurian Scrolls, c'est aussi un podcast que vous pouvez écouter en français. Vous pouvez également lire Les manuscrits lémuriens dans leur langue originale ou en français, au fil de l'eau.

 

Revue {R} remercie l’Himalayan Academy et son monastère, tous deux éditeurs des Scrolls sur l’antique et nouvelle terre de Mu (Hawaii), pour en avoir autorisé la production d'extraits tapuscrits et audiovisuels, et pour nous avoir permis de participer à sa traduction française.

 

Revue {R} remercie enfin la voix du Conteur éternel qui parle dans les livres que sont nos corps, et danse secrètement en chacun de nous sur sa propre musique grandiose.

 

Bonne écoute avec votre corps (et peut-être sa mémoire enfouie), vos pieds, et vos yeureilles



Qui est Satguru Sivayasubramuniyaswami?

Découvrir sa biographie (en anglais) ici




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Visiter l'Himalayan Academy à Hawaï

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