SOPHIA | Sérénité & intimité avec Gaia

Murielle Mobengo • 7 octobre 2020

PHILOSOPHE POLISSEUR DE VERRES

Entre pensée calculante et pensée méditante, Sérénité  est de retour

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"Mais que doit attester l'homme? Son appartenance à la Terre. Cette appartenance consiste en ce que l'homme soit héritier et apprenti en toutes choses. 
Mais les choses sont en conflit."


Martin Heidegger,
Qu'est-ce que la métaphysique? (1951)

Sérénité

substantif féminin

Dans son sens premier, archaïque: état du temps qui n'est troublé par aucune perturbation atmosphérique. 

Par extension, dénote une paix intérieure ou la capacité de garder son sang-froid dans les situations difficiles. Serein, on n’est ni agité, ni excité, ni stressé. 
  • Synonyme: équanimité
  • En allemand: Gelassenheit, qui veut aussi dire flegme, paix intérieure ("inner Ruhe")
  • Proximité sémantique en anglais: stillness, poise
  • Proximité phonétique en français: délaisser
Chez Heidegger: se connaître par l'intimité avec soi, se tenir attentif et calme auprès des choses en étant détaché.
Écoutez Sérénité sur Radio {R}

Un jour, il y a longtemps, un poète se penchait sur l’impoétique de notre époque, ce que les premiers Poètes voyants ont nommé en sanscrit “Kali yuga”, l’âge des ténèbres. Bien souvent, les poètes parlent une langue secrète, ou plutôt étagée. On ne comprend pas ce qu’ils disent au premier abord et il faut du temps, de la ténacité et une attention profonde à l’émotion que leur chant suscite en nous pour recevoir la clarté qu’ils expriment en la codant. 

Heidegger fait partie de ceux-là. Son chant paraît compliqué. Comme tous les Poètes, ils créent une langue nouvelle pour donner voie aux horizons qui se sont dévoilés au-dedans et au-dehors de lui. 

L’Occident est en crise. Une crise de valeurs, de sens. Occupée à explorer la relativité des phénomènes et à libérer le sens caché dans la matière, elle a dénutri son intériorité, le lieu du sacré, de l’expérience de l’absolu. Voilà pourquoi l’Amérique s’abreuve à la source de l’hindouisme depuis les années soixante et invoque Dieu comme on invoque l'argent. Voilà encore pourquoi l’Europe se nourrie de bouddhisme intellectuel ou d'apparat, de pseudo-orientalisme, de renouveau religieux ancestral et douteux, ou de new age, grand bazar californien et très lucratif. L'Amérique et l'Europe recherchent maintenant le contact avec un dieu intérieur et libre, qui fait prospérer et vendre, qui des cours de Yoga, qui des livres n’ayant de Yoga que le nom ou des ateliers tarots-méditation-sexe tantrique.
Mais comment en est-on arrivés là?

S’abreuver, se nourrir. Deux verbes actifs qui disent notre rapport au monde intérieur et extérieur. C’est en consommant que nous existons. Nous consommons les êtres, humains ou animaux, de mille et une façon ingénieuse et effrayante. 

Toute possibilité de vie flamboyante et exploratrice de soi se consume en entreprise selon un rituel très précis: entre 9h et 17h, avec une pause d’1h pour le déjeuner, où l’on mangera tout ce que Gaïa nous aura donné sans s’arrêter sur le mystère de son abondance résiliente. Il nous faudra recommencer plusieurs fois, comme dans Un Jour sans fin de Harold Ramis, jusqu’à ce que “notre monde” s’effondre. 

Alors seulement, nos certitudes voleront en éclats. Alors seulement, une insatisfaction profonde, comme un abîme, un lancinant “pourquoi” nous possédera. Tous les virus du monde, toutes les crises financières, les cancers, les extinctions de masse n’y changeront rien: c’est en soi que naissent les Pourquoi. 

Ce sont eux qui vous emportent, vous font entrer en méditation sur le sens du monde, qui vous font douter de votre identité et enquêter. Les Pourquoi ne naissent pas au dehors, même s’ils s’en servent pour nous aiguillonner. 

Voilà ce que la philosophie occidentale peine à comprendre et voilà ce qu’avait compris Heidegger et qu’il a tenté de nous restituer par sa langue poétique, symbolique, codée, étagée. 

Le troisième numéro de {R}évolution paraîtra début janvier 2021 et explorera le grand rêve technologique et algorithmique de l’Homme, la mythologie des robots, de la technique, d’internet, des transhumanistes et des réseaux sociaux. Ce sera l’occasion d’entrer plus en profondeur, de ressentir et de réfléchir avec cet observateur visionnaire de l’être sur la place de la technique et de la pensée calculante dans nos vies.

Dans ce {R}2, nous nous contenterons de prêter notre voix à Sérénité parce que, fait rarissime en philosophie de notre ère, c’est un texte qui nous éclaire sur nous-mêmes, un texte qui ne confond pas, un texte calme. 

Étrangement, nous avons besoin de calme pour nous entendre penser, pour ressentir Gaïa, l'éprouver.

Peu de philosophes occidentaux ont vu avec une telle justesse ce qui se cache sous le voile de notre dynamisme motivé, ou plutôt, comment nous avons contraint notre être chatoyant et courageux à une monotonie matérialiste et mortifère. 

Il n'y a pas si longtemps, et ailleurs, Heidegger a dit:

“La nuit est temps de délivrance du passé divin et de dissimulation des dieux à venir. Parce que dans ces nuits qui délivrent et dissimulent, la nuit n'est pas le néant, elle porte aussi en elle sa propre clarté spacieuse, et le calme, la préparation silencieuse qui vient.” 




 
{R}2 nous rappelle que le Poète est voyant, que l'Artiste est spirituel, que le Prophète est capable de rassembler en sa perception unique toutes les extases du temps et que le Philosophe est celui qui peut connaître les rouages du présent. Méditant encore sur l'impasse où il voit l'homme, Heidegger écrit aussi:

“Nous sommes ceux qui veulent, ceux qui, sur le mode de l’auto-imposition délibérée, érigent le monde en objet”. 

Dans ce long aujourd'hui, ce que l’on impose, c’est la violence que l’on exerce sur soi, sans bourreau extérieur. Celle du désir qui réifie, c’est-à-dire transforme en objet. 

En calculant Gaïa, on fait de son être doux et nourricier un stock, un grand caddy suspendu dans l'espace d’où l’on peut tirer indéfiniment des choses pour peupler ce que Satguru Sivaya Subramuniya Swami appelle en Poète, “la circonférence de la fourrure” et qu’Heidegger nomme “l’homme sans abri”: le lieu de l'insécurité, de l’instinct animal, de la ferveur reproductive et de la bataille pour marquer son territoire de choses ainsi désirées (et donc en conflit). 

Mais la nuit est t-elle aussi noire? Et comment distingue t-on l'aurore du crépuscule?

Un jour proche ou lointain, au coin du feu ou dans le rayonnement intérieur de notre propre égalité d'âme, en intimité retrouvée avec le Soi et notre prodigieuse Gaïa, nous nous souviendrons qu'il n'y a ni choses, ni objets, ni même possibilité de conflit avec qui ou quoi que ce soit. 

Parce que nous sommes Gaïa. 

En attendant, en Sérénité, écoutons-là.


Pour conclure ce {R}2 sur Gaïa, notre muse-maison, 3 textes à méditer & Heidegger  en vidéo

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