ARTHA | Oluwole Omofemi

Murielle Mobengo & Oluwole Omofemi • 1 mai 2019

ART & TRANSCENDANCE - ARTISTE EN {R}ÉSIDENCE 2019-2021

Pour être artiste, j'ai dû ignorer les réponses que la société adressait à ma vocation créatrice.

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Oluwole Omofemi est un Artiste peintre international originaire d'Ibadan, au sud du Nigéria. Ses toiles hautes en couleur explorent des thématiques universelles: la tendresse familiale et la douceur de l'enfance, le mystère de l'être féminin et son symbolisme, la beauté de la Noirceur et vice-versa.

Comme tout artiste, il fait l'expérience précoce de la solitude et de la souffrance émotionnelle, ce qui nourrit sa résilience et sa créativité, déjà très vivace dans l'enfance. Oluwole signifie 'Le Divin nous a rendu visite' en Yoruba. Pour lui, l'art est un chemin initiatique individuel et collectif: il dévoile l'enfoui dans l'esprit de l'artiste, et par son truchement, éclaire l'humanité. Ses toiles ont été exposées au Nigéria, à Londres, New York, dans le cadre de l'exposition ''The Way we Were'', en Italie et en Belgique. Son talent est maintenant reconnu dans le monde entier.

Oluwole Omofemi dans son atelier à Ibadan au sud du Nigéria.


Revue {R}évolution est ravie de cet entretien que vous lui accordez, Oluwole Omofemi! Merci de nous donner l’occasion de faire découvrir votre travail et votre démarche créatrice. Tant de choses dans votre art entrent en résonance avec notre mission. Cette conversation sur la dynamique de la créativité, la célébrité, votre rapport au réel et le Féminin profane et sacré promet d'être intense et passionnée ! 


Inertie et Créativité

REVUE {R}ÉVOLUTION est le produit d'une obsession philosophique (la mienne) pour le réel. J’ai toujours douté de la réalité des phénomènes qui nous entourent, nous définissent ou nous constituent (même chose pour 'nos identités'). Cette obsession s’est apaisée au contact de la philosophie Sankhya et du Shivaïsme du Cachemire, deux systèmes philosophiques hindous décrivant la réalité manifeste comme étant illusoire et résultant de l'interaction de trois forces: l'inertie, la passion et l'harmonie. Ce que Revue {R}évolution cherche à faire, c’est montrer comment nous portons ces forces en nous et comment elles nous façonnent collectivement en tant qu'humains, poètes et artistes, pour le meilleur ou pour le pire.


Commençons par l'inertie, l'absence de mouvement ou de progrès. Les premières heures de la vie des poètes et des artistes sont marquées par la négation de leur vocation créatrice par leurs proches, la société ou chose étrange, par eux-mêmes. Avez-vous vécu une telle négation de votre individualité et quelle a été votre réaction ?

OLUWOLÉ OMOFEMI: Merci beaucoup pour cette question, Murielle. Grandir en se sachant artiste sous les toits de la ville brune d'Ibadan, au Nigeria, a été l'une des tâches les plus difficiles pour le jeune garçon ambitieux que j’étais. J'ai dû faire face au rejet de mes proches, famille et amis y compris. Mes parents ne soutenaient pas particulièrement mon projet. Mon père voulait que j'exerce un métier plus "convenable", comme médecin, ingénieur ou avocat, pour des raisons qui m’échappent totalement. Peut-être était-ce par manque d'accès à la culture. Mon désir de devenir artiste était un problème majeur pour lui, à l'époque. Tout cela me fait sourire aujourd'hui. 


J’ai grandi dans le centre d'Ibadan, où chaque jour, il faut lutter pour survivre. L’argent que j'utilisais pour acheter mes fournitures d'artiste provenait de mes économies. À un moment de ma vie, j'ai fini par me dire que vouloir mener une carrière d'artiste était une erreur parce que je ne recevais pas les réactions que j'attendais. Pour continuer, j'ai dû ignorer les réponses que la société adressait à ma vocation créatrice. Pour moi, l'art était mon "Akunleya", mon destin, un cadeau divin de Olodumare, Dieu. 


Dans la religion Yoruba, tenter de réaliser quoi que ce soit de contraire à son Akunleyan est impossible ou irréalisable parce que l'Akunleya ne permet pas la possibilité du moindre changement. Une expression populaire utilisée au Nigeria résume bien notre credo: "o fe se rere, sugbon Akunleyan ko gba", ce qui signifie "il veut bien faire mais son Akunleyan ne le laisse pas faire". Cette expression est surtout utilisée lorsqu'on voit quelqu’un s’échiner, faire toutes sortes d'efforts pour réussir, sans résultats probants. D'autres proverbes Yorubas confirment la force de l'Akunleyan, comme celui-ci: "a kunle a yan eda, a d'ele aye tan oju nkan ni" : "Nous nous sommes agenouillés dans les cieux et avons choisi notre destin, mais une fois sur Terre, nous devenons impatients". Je crois que mon Akunleya m’a prédestiné à être artiste.

REVUE {R}: Ce proverbe est un concentré de poésie. Akunleya est une expérience humaine, universelle, l'expression abstraite d'une réalité concrète. Akunleya fait penser au Karma, un concept hindou devenu populaire, mais qui reste incompris, puisque la plupart d'entre nous associons le mot 'karma' à l'absence de libre arbitre. Dans la philosophie des Védas, le Karma est la loi des causes et des effets, ce que les philosophes occidentaux comme Spinoza ont nommé ''principe de causalité''. Tenter de contrôler un effet est une chose ardue, voire irrationnelle. En revanche, on peut toujours choisir les causes. Le libre arbitre est dans les causes, jamais dans les effets, ce que votre témoignage confirme. 

Les artistes et les poètes doivent simplement choisir leur cause, et rester inébranlables, comme vous l'avez fait. Les effets suivront d'eux-mêmes. Évidemment, il y a un implicite adverse dans l’Akunleya, puisqu'il empêche tout progrès. L’absence de changement ou de progrès est l'une des caractéristiques de l'inertie ou "Tamas" en sanskrit. Une autre propriété de Tamas est l'obscurité.

L'obscurité (métaphysique) est un ravissement pour nous, poètes, car sans elle, toute transcendance est impossible. Mais dès que l'obscurité vient chamarrer la peau d'un être humain, c'est une autre affaire! Parler de racisme est toujours difficile, et vivre aux États-Unis m'a fait réaliser à quel point j'étais noire. Je ne m'en plains pas. New York est une ville grandiose, multiculturelle, le lieu idéal pour réaliser l'universalité de sa noirceur (rire) ! Quel a été votre parcours en terre de noirceur?

WOLÉ: Tamas ! Voilà qui révèle quelque chose de fort pour la communauté noire dans son ensemble. Pour moi, le noir est une couleur universelle et magnifique. En son sein, tout vient à être! Le livre de la Genèse évoque les ténèbres comme "le début des créations": la lumière elle-même vient de l'obscurité. L'artiste en moi est fier de dire que l'obscurité est la mère de toutes les couleurs!

[Du point de vue historique], avant le contact avec les Européens, je crois que les Noirs s’acceptaient. Ils acceptaient la culture ou l'identité noire, et la noirceur de leurs peaux ne leur posait pas de problème. Le contact avec d'autres cultures a apporté des choses positives et négatives.

En Afrique, on dit ''Blacks don’t crack''. Nos mères et nos pères nourrissent leurs peaux affectueusement avec des pommades naturelles comme le beurre de karité (Ori) ou encore l'osun. Il y a toute une tradition du soin corporel des peaux noires. Ce que je veux dire, c'est qu'en Afrique, nous aimons notre corps/notre peau, donc nous ne connaissons pas ce tiraillement que vous évoquez.

REVUE {R}: Un autre aspect de "tamas" est la négativité. Ce concept philosophique est vaste, allant de comportements nuisibles ou destructeurs, à la dépression ou aux émotions négatives. On devient poète en s’exposant à des émotions intenses, allant de la dépression à l'exaltation, des extrêmes qui causent une douleur égale. Pouvez-vous partager avec nous votre voyage en terre d’émotion, de la tristesse à l’extase? Comment les émotions influencent-elles votre créativité ?

WOLÉ: J'aime peindre mes émotions sur la toile, tout le temps. Qu'est-ce que je veux dire par là ? Principalement que j'aime peindre quand je suis heureux et aussi quand je suis triste. On ne peut pas évoquer le bonheur sans son contraire ; ils vont de paire. Il y a quelques années, j'ai créé un corpus de toiles que j'ai intitulé "Mourir en amour" pour exprimer ce qui me tourmentait à l’époque: ayant tout fait par "amour", j’ai reçu le contraire de l’amour, on m’a rejeté et trompé. Cette période a été la plus douloureuse de ma vie.


Oluwole Omofemi, Huile et acrylique sur toile

Émotions, dynamisme et Créativité

REVUE {R}: Les émotions sont fascinantes, n'est-ce pas ? Je pense que les émotions sont les véritables mères et pères de cette revue, en fait! Leur ambiguïté est consternante, même si j’aime les observer. La plupart des émotions en français sont féminines: la colère, la honte, la joie, la haine, la passion, la tristesse"... Une transition parfaite pour notre prochain sujet : Le Féminin!

On sent bien que votre rapport au Féminin est passionnel. Le tableau "Openness not an option" m'a fait sourire la première fois que je l'ai vu. Non seulement vous avez capté la beauté du féminin noir, mais aussi un état d'être bien familier des femmes dans leur ensemble: le secret, le mystère. Dans un entretien avec Anna McNay de Studio International, vous avez déclaré : "Même si je suis conscient de ce qu'implique une telle affirmation et que je ne suis pas sûr de vouloir en arriver là, je pense que les femmes sont comme Dieu." Ma question est simple: Pourquoi ne pas en arriver là et comment l'avez-vous découvert ? (rires) 
Oluwole Omofemi, huile et acrylique sur toile

Quand Dieu a dit ''Faisons l'homme à notre image'', Il s'adressait à des Artistes.                              


 Oluwolé Omofémi



 WOLÉ: J'ai toujours considéré les femmes sous un angle complètement différent. Dans cette interview, j'ai dit: "les femmes sont comme Dieu ou Dieu lui-même". Pour moi, le féminin est un objet d’étude. Tout le monde a des défauts mais les femmes ont des défauts uniques. Quant à l'être suprême, le Dieu tout-puissant, Il possède des caractéristiques si uniques qu'elles font de Lui ce qu'Il est. Certaines de Ses qualités sont l'amour, la compassion, la bienveillance, le pardon, la légèreté, la jalousie, etc... Les femmes sont plus habituées aux émotions, elles les vivent naturellement, ce qui fait d'elles le meilleur reflet de l'Être suprême pour moi, et la version évoluée de l’homme. C'est ainsi que je les perçois, une chose que la bible exprime également quand, dans l'histoire de la création, la femme succède à l'homme. Pour moi, les hommes n’arrêtent pas de penser, il sont plus logiques.

REVUE {R}: La plupart des fanatiques religieux utilisent l'histoire de la Genèse ou ses autres avatars d'Orient pour justifier l'infériorité de la femme. Votre interprétation de ce mythe est rafraîchissante! Je ne sais pas si la femme est la version évoluée de l’homme. L'environnement féminin de mon enfance était plein de tabous, de conflits, de relations passionnelles et de ruptures douloureuses avec les hommes. 

Je vous rejoins sur la beauté du divin. Pour moi, le divin est une expérience sensible, une gamme d'émotions subtiles, un inconnaissable dont on se rapproche en existant. Dieu, c'est ressentir l’absolu chaque jour de sa vie et renoncer concrètement, progressivement à tout ce qui ne l’est pas. Voilà pourquoi je n’ai jamais compris le concept judéo-chrétien de ''jalousie divine''. Comment l'absolu peut-il être jaloux ?

Quant aux émotions, elle nous meuvent tous, et n'appartiennent à personne. Peut-être que les femmes répondent à certains types d'émotions, bien distinctes de celles qui font se mouvoir les hommes et peut-être qu'on les y a simplement entraînées pour les gratifier. Au Congo-Brazza, nous avons cette vieille légende de Mami Wata (Mummy Water), la Mère des eaux, un être magique dont la puissance repose uniquement sur l'élément eau. Cette sirène séduit les humains mâles et enlève les enfants lorsque les familles ne les protègent pas. Il n'est pas rare d'entendre qu'une femme célibataire et belle est une Mami Wata. Ce n'est pas très gratifiant...Mieux vaut répondre au schéma opposé (celui de la sainte), en tentant de garder l'aura de la beauté.

L'eau semble être un symbole féminin d'émotion créatrice ou destructrice dans de nombreuses mythologies. Pour moi, les artistes sont l'essence même du féminin. Ils sont nos mères sacrées et métaphoriques: leur sensibilité est si extraordinaire qu'elle transforme la matière. Les artistes, comme les poètes, procurent une nourriture subtile à nos esprits. Parce qu'ils font quelque chose que tout le monde rêve de faire mais que peu de gens font par crainte d'affronter leur intériorité, on les gratifie en les rendant célèbres ou on les punit par le rejet de leur vocation créatrice. Pour moi, la célébrité est une forme d'hystérie, une anomalie de l'altérité qui empêche l'artiste d'arriver à maturation et de remplir sa mission pour la collectivité: garder, incarner le souvenir de notre unité. Comment la célébrité s'est-elle manifestée pour vous ? Comment avez-vous réagi et que diriez-vous aux artistes qui ont soif de reconnaissance ou qui sont déprimés par l'indifférence de leur communauté ?

WOLÉ: Vous soulevez un point intéressant. La célébrité est comme un superpouvoir et le fait de devenir célèbre nourrit l'ego et remplit de fierté. Quand on accède à la notoriété, notre communauté nous entoure de chaleur et d'amour. Naturellement, une partie de vous s'interroge sur les raisons de cette affection soudaine. Vous commencez à remettre en question la loyauté des gens qui vous entourent et à vous demander s'ils vous aiment pour ce que vous êtes ou pour ce qu'ils veulent obtenir de vous. 

La célébrité est une bonne chose, mais elle est aussi dangereuse. À mon avis, un artiste qui débute et qui veut être connu pour son style et son originalité ne devrait pas se concentrer sur la célébrité. Il est bon de travailler sur soi, de chercher à être la meilleure version de soi. La célébrité viendra naturellement quand vous déciderez d'être vous-même et que vous ne chercherez plus à être quelqu'un d'autre. Nous avons tous quelque chose d'unique, un pouvoir qui nous distingue des autres. Dans mon cas, la célébrité s'est simplement manifestée, comme ça. 

Harmonie et Créativité

REVUE {R}: Parlons de notre sujet favori: l'harmonie, un état de tranquillité survenant lorsque toute dualité prend fin, et que les opposés se rejoignent en unité. Ici, en {R}évolution, nous pensons que les Poètes et les Artistes sont des vecteurs naturels d'harmonie, et qu’ils servent la société en étant ses gardiens. Leurs existences témoignent bien souvent de leur sacerdoce; s’ils ont des relations intimes chaotiques, c’est par déformation professionnelle puisque la matière de leur travail, c’est leur vie. Ainsi, au travail comme dans toutes les formes d'amour possibles, ils s’efforcent de réunir ce qui est extrême : le visible et l'invisible, l'émotion et la matière. Les poètes et les artistes ressentent la tension des paradoxes de l’existence plus que quiconque en ces temps d'agitation et de lourdeur, car ils existent en nageant dans les eaux troubles des émotions complexes. 

Notre animal totem est le cerf déguisé en archer ou en chasseur. La biche est un habitant gracieux des forêts. Cousine de l'antilope, elle symbolise la polarité dans les mythologies celtes, nordiques et hindoues (voir le mythe de Mrigashira) et son aura est chargée de profondeur et de mysticisme. Les cervidés mythologiques ont une drôle de façon de vivre: ils pourchassent l'illusion, espérant trouver la vérité, ils se meuvent en Beauté et découvrent la laideur du monde, ils représentent l’homme en paix avec la nature et...le frisson de la chasse! Il y a une grande puissance d’évocation dans vos peintures de femme- et homme-antilopes. Pourquoi ce cervidé vous inspire t-il autant?

WOLÉ: Dans la culture africaine, l'antilope est le symbole du pionnier, elle ouvre la voie. Quand elle apparaît, c’est pour nous révéler que quelque part, sur le chemin de notre vie, nous nous sommes perdus. L’antilope symbolise la détermination et la rapidité dans l’action, incarnant ce qui nous oblige à sortir de notre tête, à arrêter de penser notre chemin pour ressentir notre chemin, à aller au-delà de l'analyse et de la catégorisation, deux modes de pensées qui ralentissent nos actions et mènent à l'indécision. Être artiste signifie être capable d'atteindre ce lieu de notre esprit qui est en contact avec des choses que notre esprit rationnel ou littéral ne peut pas comprendre. Lorsqu’on se laisse porter par la vie, on est là où elle nous requiert. Voilà comment l'on trouve cet espace intérieur qui nous transporte, nous fait demeurer et traverser ce lieu dont nous ignorons tout en temps normal. À moins de s'efforcer de trouver ce lieu, on ne peut pas être artiste.

Faire le choix de s’abandonner à l'inconnu plutôt qu'à l'évidence des choses que nous pouvons nommer ou analyser, c’est cela être artiste. Ainsi le corps est souple, rapide comme l’antilope. C'est une expérience qui dépasse l'instinct animal. C'est la demeure de l'esprit, de l'inspiration et de la créativité la plus authentique. L'antilope nous appelle à suivre le chemin qui nous mène là-bas, un ailleurs que l’on reconnaît immédiatement, profondément en soi et qui réduit à néant toute hésitation. Quand on est imprégné de puissance et de joie, un état réservé à ceux qui vivent pleinement, on devient agile, vif et en harmonie avec la complétude de notre univers.


Une femme-antilope mystérieuse et émerveillée - Acrylique et huile sur toile - Courtesy of Oluwole Omofemi

 WOLÉ: Dans la culture africaine, l'antilope est le symbole du pionnier, elle ouvre la voie. Quand elle apparaît, c’est pour nous révéler que quelque part, sur le chemin de notre vie, nous nous sommes perdus. L’antilope symbolise la détermination et la rapidité dans l’action, incarnant ce qui nous oblige à sortir de notre tête, à arrêter de penser notre chemin pour ressentir notre chemin, à aller au-delà de l'analyse et de la catégorisation, deux modes de pensées qui ralentissent nos actions et mènent à l'indécision. Être artiste signifie être capable d'atteindre ce lieu de notre esprit qui est en contact avec des choses que notre esprit rationnel ou littéral ne peut pas comprendre. Lorsqu’on se laisse porter par la vie, on est là où elle nous requiert. Voilà comment l'on trouve cet espace intérieur qui nous transporte, nous fait demeurer et traverser ce lieu dont nous ignorons tout en temps normal. À moins de s'efforcer de trouver ce lieu, on ne peut pas être artiste.

Faire le choix de s’abandonner à l'inconnu plutôt qu'à l'évidence des choses que nous pouvons nommer ou analyser, c’est cela être artiste. Ainsi le corps est souple, rapide comme l’antilope. C'est une expérience qui dépasse l'instinct animal. C'est la demeure de l'esprit, de l'inspiration et de la créativité la plus authentique. L'antilope nous appelle à suivre le chemin qui nous mène là-bas, un ailleurs que l’on reconnaît immédiatement, profondément en soi et qui réduit à néant toute hésitation. Quand on est imprégné de puissance et de joie, un état réservé à ceux qui vivent pleinement, on devient agile, vif et en harmonie avec la complétude de notre univers.

 Acrylique et huile sur toile, avec l'autorisation de l'artiste

REVUE {R}: Merci de partager votre sensibilité visionnaire avec nous. Quelle symbolisme lumineux et passionné de la créativité! La recherche d’harmonie dans votre oeuvre est marquante. Non seulement vous peignez des couleurs vivaces comme la vie elle-même, mais aussi des femmes africaines aux cheveux aériens et cotonneux, le cheveu comme une émanation de l'univers ou du ciel, une extension de soi, une couronne ou peut-être même son contraire : une arme. L'un des archétypes les plus captivants du panthéon hindou est la déesse obscure Mahakali, la mère de l'univers. On l’appelle aussi "l’échevelée". Kali incarne la libération ultime (Moksha) et parcourt l'univers nue, les cheveux au vent, un brin enragée

Nous aimons beaucoup Sif, la déesse nordique aux cheveux d'or perdant ses cheveux de la main de Loki, un Dieu farceur et porteur de tant de désarroi qu’il force ceux qui le croisent à affronter leur propre impuissance et à se battre pour exister et grandir en puissance. Est-ce pour cette raison que vous peignez des femmes et des cheveux noirs, majestueux ? Pour les mettre en harmonie avec leur liberté, leur pouvoir ou leur chaos intérieur? Que représentent le cheveu pour vous?

WOLÉ : Dans les années 60 et 70, les cheveux était un symbole de fierté identitaire et de force au sein d'un célèbre mouvement racial. La bible raconte l'histoire de Samson qui a perdu sa force lorsqu’on lui a coupé les cheveux. Toute connexion avec Dieu s'est ainsi rompue pour lui. Il a fini par retrouver sa force seulement lorsque ses cheveux ont repoussé. Le cheveux africain est une source d’émerveillement pour moi. Il a une propriété capillaire surprenante: peu importe la façon dont on le peigne, il se tient toujours dressé sur la tête, même lorsqu’on l’étire. Pour moi, les cheveux sont des perches ou des antennes qui ont le pouvoir de nous connecter au Divin, un peu comme ces vieux téléphones Nokia qui avaient des antennes; leur connexion est toujours super par rapport aux téléphones que nous utilisons aujourd'hui! (rires)

REVUE {R}: Oui, il y a bien, bien longtemps, dans un passé aussi poétique qu'il est incertain, une femme nommée Dalila a coupé les cheveux de Samson. Elle a rejoint la famille des femmes tentatrices, infréquentables et viles, coupables d'avoir déstabilisé l'ordre mondial avec leur intériorité mystérieuse, leur sensualité et leur pouvoir créatif : Ève, Lilith, La Gorgone⬇️, Circé, Ishtar, Médée et même Kali. Nous pensons que ces archétypes sont de merveilleuses inspiratrices pour toute femme cherchant à se connaître et à accoucher d'un féminin nouveau. Pourtant, les récits mythologiques qui façonnent nos sociétés réelles et nos religions organisées en ont fait des symboles d'indiscipline crasse, les ont lissées jusqu'à ce qu'elles disparaissent du coeur collectif des femmes et aillent se momifier dans des livres poussiéreux et vieillots, des histoires que plus personne n'écoute, ne lit ou ne vit. Quelles déesses Yoruba vous inspirent?

WOLÉ: Il y en a beaucoup et elles m'inspirent toutes!

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Interview conduite pour Revue {R} par Murielle Mobengo

Outre les galeries internationales où l'on peut parfois le croiser et contempler son travail, Wolé est partout sur la toile et sur Instagram

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Revue {R}évolution

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